Le documentaire de Jérôme Prieur consacré à l’émigration vers les États-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale sera diffusé dimanche 14 avril à 22.40 sur France 5 et sur france.tv. Comme nous l’avions évoqué lors de notre dernière Assemblée générale, ce travail fait notamment découvrir la situation des réfugiés internés dans des camps en arrivant à Fort-de-France. Pour faire comprendre l’urgence de quitter la France, Jérôme Prieur a utilisé des textes de Malaquais, notamment Marseille, Cap de Bonne Espérance.
1941, les réfugiés et les opposants qui veulent fuir l’Europe de Hitler et la France de Pétain se retrouvent à Marseille, dans les chambres d’hôtel ou les camps d’internement alentour.
Ennemis politiques, intellectuels, écrivains, artistes, ou anonymes de toutes origines, certains juifs, d’autres pas, cherchent à tout prix à embarquer pour l’Amérique qu’ils espèrent atteindre via la Martinique, colonie française sous les tropiques. Mais les démarches que les «indésirables» ont à accomplir sont innombrables, souvent absurdes, toujours fastidieuses, épuisantes et éprouvantes. Il y a urgence : pendant quelques mois, la mer est la dernière issue de secours légale pour fuir le continent européen, le dernier espoir.
De rares photos évoquent les événements. Aucun film. Grâce aux récits laissés par les témoins, il reste à imaginer, comme le fait Jérôme Prieur, ce que fut le départ des plus chanceux, leur odyssée sur les quelques bateaux qui vont traverser l’Atlantique, puis leur séjour forcé dans deux camps d’hébergement près de Fort-de-France, le camp du Lazaret et celui de Balata… Parfois célèbres, ces hommes et ces femmes, contraints à l’exil, ont écrit pour raconter ce que tous les autres n’ont pas dit.
Note d’intention de Jérôme Prieur
En Martinique, à Balata et au Lazaret, survivent encore aujourd’hui à quelques kilomètres de Fort-de-France, au bord de l’Atlantique, les vestiges de deux camps peu à peu dévorés par la végétation. Ce fut aussitôt pour moi le décor d’un lieu hanté. Y tombent en ruine les baraques des camps où ont été internés ceux qui avaient réussi à fuir la métropole, au début de l’Occupation. Mais pourquoi ?
De la fin 1940 jusqu’en mai 1941, le gouvernement de Vichy a entrouvert la porte des Antilles. Cela permettait de maintenir les liaisons maritimes avec la Martinique, tout en lui offrant une solution pour se débarrasser des « indésirables ». Cinq mille personnes, réfugiés politiques venus des territoires du Reich, juifs persécutés, républicains espagnols, artistes et intellectuels surtout, réussiront finalement à quitter la zone dite libre en s’embarquant à Marseille.(*)
Autour du Vieux-Port, des centaines de fugitifs errent d’hôtel en hôtel, de café en café, de consulat en consulat, dans l’espoir d’une autorisation de sortie, d’un visa, d’un soutien matériel, d’une place sur un cargo… Les démarches sont kafkaïennes.
Pour les plus chanceux qui parviennent à monter sur le Winnipeg, le Wyoming, le Mont Viso, le Carimaré ou le Capitaine Paul-Lemerle, la seconde épreuve dure trente jours, le temps de la traversée. Toute une société se révèle, subissant les affres d’une coexistence forcée, refaisant le monde, soulagée de fuir le pire mais désespérée d’être contrainte à l’exil.
Au lieu du paradis espéré, c’est l’hébergement forcé qui attend les voyageurs. Ils découvrent l’humiliation, et la dureté des conditions de vie que subissent « les indigènes », les Antillais, avant que la plupart des indésirables venus de France et d’Europe, au terme de cette dernière épreuve, se dispersent sur les chemins de l’exil.
Victor Serge rejoint le Mexique, Alfred Kantorowicz, Lore Krüger, Renate Barth et sa fille, Claude Lévi-Strauss, Jacques Schiffrin atteindront New York, Germaine Krull s’établit un moment au Brésil, avant de gagner Brazzaville, Pierre Radvanyi et sa mère Anna Seghers partent d’abord pour Haïti, d’autres iront à Cuba, à Buenos Aires, à Caracas… Kurt Kersten attend toujours de pouvoir quitter l’île quand, le 14 juillet 1943, la Martinique proclame son ralliement à la France libre, à la suite de l’insurrection des soldats du camp de Balata.
De cette histoire ne subsistent évidemment pas d’images filmées. Mais on connaît d’autres images tournées en 1940 ou 1941 à Marseille, il existe des films amateurs pris lors de traversées avant guerre, et puis des photos. Surtout, une quarantaine de photographies, un trésor précieux, dû à quelques passagers, reporters de fortune de leur odyssée en mer ou en Martinique, en particulier celles de Germaine Krull conservées au Museum Folkwang à Essen en Allemagne, celles du peintre tchèque Antonin Pelc (Archives de la Galerie nationale à Prague), d’Ilse Bing (MBA, Galerie nationale du Canada), de Dyno Löwenstein (United States Holocaust Memorial Museum), de Josef Breitenbach (Center for Creative Photography) ou encore d’Erwin Blumenfeld (Estate Erwin Blumenfeld).
Les exilés sont les seuls témoins pour restituer les péripéties de leur voyage, pour raconter l’Histoire à la première personne, comme vue de l’intérieur.
Dans leurs lettres, leurs journaux ou leurs mémoires, ils saisissent sur le vif des choses vues, des situations vécues… Ainsi, parmi d’autres, ai-je voulu faire entendre la voix de l’écrivain Jean Malaquais, celle de Claude Lévi-Strauss, l’ethnologue, la photographe Germaine Krull, le journaliste Soma Morgenstern, la photographe Lore Krüger, l’éditeur Jacques Schiffrin, l’écrivain Walter Mehring, Pierre Radvanyi, le jeune fils de la romancière Anna Seghers, Alfred Kantorowicz, l’écrivain et militant communiste, le jeune cinéaste Jacques Rémy, l’historien Kurt Kersten, la biologiste Helena Holzer Benitez, la compagne du peintre Wifredo Lam, le militant révolutionnaire Victor Serge, le journaliste René Hauth, journaliste, ou encore la voix de Renate Barth, jeune mère de famille et employée de librairie…
Ce film documentaire, je l’ai conçu comme un film d’aventures, comme le journal de bord de ces émigrants, pour être avec eux.
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